Du côté de Vilnius, les politiques commencent à réellement s'inquiéter du sort de la centrale lituanienne d'Ignalina. Il semble que depuis ces dernières semaines, la question du nucléaire redevient à la mode. Près de cinq ans après avoir ratifié le traité d'adhésion de la Lituanie à l'Union Européenne, il n'est pas exagéré de penser qu'il était temps de s'en inquiéter. On s'active énormément autour de la question, comme si le problème était nouveau et qu'on commençait à s'en préoccuper, tout comme on cherche à satisfaire un besoin naturel.
Alors, on organise des conférences. Le Premier Ministre Gediminas Kirkilas est même parti en tournée dans les pays d'Europe Occidentale pour une opération "touchez pas à ma centrale"; il était à Rome mercredi dernier. Ce n'est qu'au niveau le plus élevé de l'éxécutif qu'on prend ses distances vis-à-vis de ce genre de manoeuvre. Adamkus, sage s'il en est, affiche sa prudence en tentant de dissuader le gouvernement d'aller trop loin dans la récupération du dossier Ignalina. Le Ministre de l'Economie s'est donnée comme étrange mission de tenir ce vendredi un discours à Luxembourg concernant les quotas de CO2 imposés par Bruxelles. Le message est clair, si aucun geste de la part de Bruxelles n'est lancé pour accroître la sécurité énergétique de la Lituanie (comprendre : si Bruxelles n'accepte pas un report de la date de fermeture de la centrale initialement prévue fin 2009), alors la Lituanie "ne pourra pas" respecter ces quotas d'émission. Autrement dit, le green paper européen sera rejeté par Vilnius.
On connaît la crainte qu'inspire Bruxelles aux dirigeants Européens. Tout le monde semble savoir qu'il est quasi-impossible d'avoir Barroso dans sa poche (même Sarkozy le sait), et qu'il suffit de peu pour que Bruxelles lève la voix sur les dossiers économiques des Etats membres. Mais dans le cas présent, la Lituanie s'oriente vers une attaque frontale à l'encontre de Bruxelles. Je m'inquiète sincèrement des conséquences de ce discours ne serait-ce qu'en termes d'images pour la Lituanie. Si Chirac, en son temps, avait quelque peu abusé avec sa petite phrase, on peut dans les circonstances actuelles lui reconnaître un certain crédit, voire un crédit certain.
Ces attaques sans précédent dirigées contre Bruxelles et basées sur la remise en cause des principes fondateurs de l'élargissement n'ont simplement pas de raison d'être. Le tort n'est pas du côté des Lituaniens mais de leurs dirigeants, qui au fil des années ont exposé les citoyens à une situation de plus en plus critique concernant les prix de la consommation d'énergie. Il est aujourd'hui inacceptable que ces mêmes citoyens, qui continueront à payer la note de gaz plus cher du fait d'un manque notoire d'anticipation du gouvernement, soutiennent la passivité du pouvoir. Il est vrai que la Russie, avec sa politique de "si t'as une bonne gueule tu paierais le gaz moins cher", impose à la Lituanie un prix fort. Mais il revient tout de même aux stratèges du pouvoir d'amoindrir les effets de la hausse du prix de l'énergie. Le sujet des dépendances énergétiques n'est pas nouveau, et cela fait déjà plus d'une décennie qu'il est passé des Low Politics aux High Politics. Le gouvernement n'a absolument pas assumé sa responsabilité, ni vis-à-vis des citoyens ni vis-à-vis de l'Europe, d'honorer cette obligation de "passer à autre chose". Sans me rappeler de chiffres exacts, le gouvernement avait par ailleurs sollicité et obtenu de généreux versements de la part de la Commission Européenne en vue de la satisfaction de ce critère d'adhésion.
Bien que je ne sois pas lituanien pour en juger, si je transpose cette situation dans un système où je pourrais m'exprimer, c'est dès l'aurore que je m'en irais sanctionner un gouvernement qui essayerait de me prendre en otage. Le droit de vote, dans de telles circonstances, s'apparenterait davantage à un devoir.